Point du jour au samedi
16 août 2003
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Du long tunnel à la morne vallée
Position à 14H40 (Paris) : 11° 30 S / 86° 14 W
Depuis Lima c’est le long tunnel, infini, imperturbable, gris sombre,
il y avait même quelques gouttes de pluie hier matin. Tout ça
finit par éroder quelque peu le moral. Les nuits pourtant ne se
ressemblent pas : longue et relativement paisible avant-hier
elle fut nettement plus agitée hier avec des vents tournant qui
font osciller la planche de plus d’un quart de tour, essayez donc
de résister
au mal de mer avec ça…
Raphaëla évoque sur un ton à peine ironique le poids
des années qu’elle ressent tous les matins quand elle se
réveille, raideurs dans le dos, sensation d’être un
peu cassée. Mais dès qu’elle mange le mécano
semble se remettre en place. Je crois que les huiles essentielles et
de plus miraculeuses qu’elle a embarquées n’y sont
pas non plus pour rien…
Guy fait tourner les ordinateurs les plus puissants
de la terre pour extirper l’information météo qui
doit redonner l’espoir à Raphaëla
de revoir un jour le soleil, mais Raphaëla, elle, a choisit l’incantation à la
dorade coryphène.
« Vous savez c’est le meilleur indicateur
de l’eau bleue, chaude et de l’alizé » nous
dit-elle. En attendant elle a toujours l’impression de naviguer
sous le grand brumisateur du Pacifique qui lui donne la
fraîcheur
(air à 17° C à 19° C) l’humidité (rien
ne sèche dans la planche, le duvet est bien humide et Raphaëla
continue de se sentir sale) et lui masque le soleil.
« Et si le
couvercle me suivait jusqu’à Tahiti » m’a-t-elle
dit la nuit dernière. C’est peut-être l’épreuve
réservée aux Bretons, heureusement qu’elle n’est
pas anglaise…
« Ce qu’il y a de bien avec le
téléphone,
c’est que vous n’avez pas les odeurs ! » lâche-t-elle à l’assemblée
de 14 personnes réunies aujourd’hui dans son bureau
de Pénestin,
qui pour l’occasion a servi de salle à manger en attendant
la vacation.
Au moment du bonjour collectif Raphaëla a l’impression
d’entendre la clameur du fond du gouffre comme dans « Le
seigneur des Anneaux » !
On est présents, quoi !
Elle ne cesse de nous répéter qu’elle
avance « doucettement » mais
tout ça représente plus de 50 milles parcourus chaque
jour depuis le début.
C’est quand même moins stressant
que sur l’Atlantique où à d’innombrables reprises
on avait relu le point de la veille pour vérifier si on ne s’était
pas trompé…
L’eau semble pour le moment vide de toute vie
alors que le ciel est habité d’oiseaux qui l’accompagnent
régulièrement.
Raphaëla a déjà recensé 11 espèces
différentes,
beaucoup plus que sur l’Atlantique.
Les bouillons « Kub » embarqués
en extra par les soins de Gaby sont la boisson préférée
de Raphaëla : chaud, salé. La vraie vie, voyez-vous
c’est
savoir se contenter de chose simple…
Et tout en sirotant elle calcule : combien de milles depuis
le départ, combien aujourd’hui,
quelle vitesse moyenne. Je lui annonce fièrement qu’elle
a déjà parcouru
l’équivalent de la Méditerranée l’an
dernier et dans le même temps, elle me répond qu’il
lui en reste 7 à faire, c’est dur de tenir le crachoir par
moment…
Et puis, elle nous explique qu’elle entasse les
poubelles consciencieusement et que, déjà, la pile est
impressionnante. « D’ailleurs,
vous savez, ce qui va arriver à Tahiti, eh bien ce sera une immense
poubelle débordante ! ».
Tant qu’il
y a de l’humour
il y a de la vie !
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